Savoir par coeur : la thèse
Apprendre par coeur des textes littéraires : pratique réactionnaire ou d'avant-garde ?
Publié le 27 février 2017
J’ai soutenu le 17 janvier 2015 ma thèse de littératures françaises et comparée (« s » à « littératures » et « françaises », car on considère que chaque siècle est une littérature à part entière, et même sans ça littérature prendrait un « s », car il y en a deux types ; et sans « s » à « comparée », car on considère que c’est de la littérature comparée, car on désigne plus par là une manière d’appréhender les textes qu’un corpus de textes). Le titre en est « Savoir par cœur — Enjeux de la mémorisation des textes pour les études littéraires ».
Bon, s’agit-il d’une thèse à proprement parler ? Pas vraiment. Il s’agit plus d’un essai. Le but était pour moi de réfléchir, plus que de fournir un travail très académique. J’ai démarré cette thèse en 2009 après avoir commencé à travailler en jardin d’enfants : j’ai alors eu besoin d’une stimulation intellectuelle plus importante. J’ai donc pu m’exonérer de certaines contraintes académiques qui incombent à qui projette une carrière universitaire. C’était vraiment une thèse pour le plaisir.
J’avais travaillé sur la lecture à haute voix en master 2, et le par cœur me semblait être une prolongation intéressante, d’autant que j’avais l’impression que je n’aurai pas grand-chose à en dire (je me suis souvent dit que j’aurais mieux fait de faire un mémoire de master sur le par cœur, et une thèse la lecture à haute voix, que ça aurait été plus simple !), à part la vague intuition qu’« apprendre par cœur, ce n’est pas rien ». Le défi intellectuel était grand.
J’ai passé une très longue période à lire sans avoir la moindre idée de la direction dans laquelle j’irai. J’ai essayé de lire tous les domaines qui se rapprochaient un peu de la mémorisation et de la littérature pour croiser les idées : anthropologie, sociologie, neurosciences, théorie critique littéraire classique, pédagogie, psychologie, sciences de l’éducation, philosophie…
Fidèle à une vieille habitude, j’ai commencé à écrire sans plan, en piochant de-ci de-là les éléments que j’avais notés. Je souhaitais avoir un plan qui émerge presque naturellement, plutôt qu’une approche méthodique artificielle qui rend la lecture ennuyeuse selon moi. Ce n’est que 2 ou 3 mois avant de rendre la thèse qu’une idée de plan m’est apparue. J’ai ainsi structuré la thèse autour de 3 grandes idéologies qui sont à contre-courant de la mémorisation des textes.
J’ai finalement essayé de penser en creux (j’ai un profil d’opposant selon la typologie d’Antoine de La Garanderie : j’ai besoin de penser par le contre-exemple, la contradiction et par ce que ne sont pas les choses plus que par ce qu’elles sont) ce à quoi s’opposait la mémorisation des textes à l’école pour dresser un portrait de ce que devrait être l’étude de la littérature aujourd’hui. J’ai finalement abouti à une thèse qui se rapproche de ce qu’on pourrait appeler de la philosophie politique de l’éducation puisque je m’interroge sur le sens à donner à notre éducation à travers des choix idéologiques qui sous-tendent notre société.
J’ai donc abouti à une idée simple : apprendre par cœur c’est s’opposer à un certain avatar du matérialisme, à une forme de logique marchande qui aboutit aujourd’hui au consumérisme et à un discours de domination du masculin sur le féminin. Quel rapport avec la mémoire ? Je vous laisse lire la thèse pour vous en faire une idée.
Pour terminer, je précise qu’il ne s’agit ni d’une histoire du par cœur, ni d’un manuel technique, ni d’un ouvrage de didactique. Comme son titre l’indique, la thèse interroge le fait de savoir par cœur, qui nécessite de mémoriser, mais s’intéresse peu à la récitation elle-même pour une bonne raison : je me suis aperçu que ce que j’aurais à en dire recoupait ce que je disais de la lecture à haute voix. Il m’a semblé que ce serait trop redondant, encore que cela m’aurait fait gagner 50 pages d’un coup ! Comme son titre l’indique aussi, il s’agit bien des enjeux : le but pour moi était avant tout de convaincre, motiver et pousser à la pratique.
Bonne lecture aux curieux et aux courageux ! Et si vous trouvez des coquilles, et il y en a encore beaucoup, faites-le moi savoir.
Savoir par cœur — Enjeux de la mémorisation des textes pour les études littéraires