Le revenu universel ou comment valoriser enfin le vrai travail

Le revenu universel représente un changement de paradigme de notre rapport au travail. C'est un outil de dignité dont il faut comprendre la philosophie.

Publié le 22 mars 2017


Le revenu universel entre philosophie et technique

Dressant le portrait de Julia Cagé, l’économiste qui travaille pour Benoît Hamon sur le revenu universel, Le Point note « la jeune femme ne s’attarde pas sur la dimension philosophique de la mesure. Elle préfère s’attaquer au concret ». Cette séparation entre la philosophie et le concret, la théorie et la pratique, en dit long sur pourquoi le revenu universel n’imprime pas tellement les esprits, au regard de la révolution qu’il représente.

En effet, ne pas s’atteler à diffuser sa théorie, à savoir le changement de paradigme dans lequel il s’inscrit face au travail et à la vision qu’on a de l’être humain, c’est prendre le risque de le juger à l’aune de concepts périmés tel que l’assistanat. D’où son relatif échec dans l’opinion — relatif, car il est quand même de bon augure que le candidat PS le porte pour l’élection présidentielle.

En effet, la question du revenu universel est arrivée sur le devant de la scène politique et médiatique de manière très inattendue. Bien sûr, il y avait un mouvement de réflexion caché qui a œuvré toutes ces années pour en arriver là. Mais la tournure technicienne que prend le débat est désespérante, car seule la philosophie de ce projet permettra de faire aboutir des solutions concrètes innovantes.

Remettre l’universalité au cœur du revenu universel

Le revenu universel est souvent présenté comme l’outil parfait pour lutter contre la pauvreté. Si c’est vrai, je suis, dans le fond, peu sensible à cet argument, car je pense que le revenu universel va bien plus loin que ça. La revue Frustration caricature le revenu universel en disant qu’il « veut s’occuper des pauvres » alors qu’il faudrait s’occuper des riches. Or, l’idée d’universalité du revenu universel m’empêche de penser qu’il est en faveur d’une catégorie de personnes.

L’universalité oblige à se demander quelle peuvent être la valeur et le message de ce revenu en tant qu’il s’adresse à tous. Par revenu universel, j’entends donc un revenu qui s’adresse à tous, de la naissance (une partie sera reversée aux parents durant l’enfance) à la mort, que l’on soit prisonnier, comateux ou privé de droits civiques, sans aucune condition.

Ma vision du revenu universel articule une redéfinition du travail à une réflexion sur la motivation, avec une mise à mort de l’homo œconomicus en arrière-plan.

À quoi travaille-t-on ?

Un des angles philosophiques du revenu universel est de dissocier emploi et travail, séparation que n’ont pas saisie ceux qui pensent que la valeur travail est mise en danger par le revenu universel.
Qu’est-ce que le travail ? Je regroupe sous ce mot toute activité qui permet de rendre un service et rendre service et qui demande du temps. Un travail permet à quelqu’un d’obtenir quelque chose qu’il n’aurait pas pu faire seul, tant le nombre de tâches que nous devons accomplir est important.

Le concept de travail n’est pas lié à une rémunération ou à un emploi ou à de la valeur marchande — même si ce qui s’y opère serait récupérable par une activité marchande. Si, ayant du temps, j’aide ma vieille voisine à remplir des papiers administratifs, en quoi suis-je moins utile à la société que si j’étais rémunéré pour faire la même tâche ? Peut-être que ma voisine aurait pu avoir droit à une assistante sociale pour l’aider, mais combien de temps aurait-elle attendu ? Il faudrait alors s’interdire toute tâche pour laquelle quelqu’un pourrait être rémunéré. Un ami a besoin de réconfort ? Vous volez le travail d’un psychothérapeute…

Or, quelle est la tâche ultime d’une société ? Tel métier remplit certes des fonctions utiles, mais dans le fond, le but ultime est de pouvoir vivre ensemble. Dit autrement, le revenu universel délivre un message à chaque citoyen : en tant que membre de la société, ta simple existence est une pierre constituante de la société. Par ta simple existence, tu participes à faire société.

Alors qu’en est-il de celui qui a tué : est-il utile ? Celui qui deale du shit ? Oui. Par les affects, les décisions, les réflexions qu’il va mettre en œuvre. Par le fait qu’il nous empêche de nous voiler la face sur les décisions collectives qui amènent à des destins individuels tragiques. Le revenu universel est une manière très concrète d’incarner la formule selon laquelle la société, c’est tout le monde C’est une manière de reconsidérer les marges comme faisant partie du tout. Voilà le sens de l’universalité du revenu universel.

Dignité par le travail et revenu universel

Les critiques de gauche comme de droite tombent un peu à côté quand elles promeuvent une logique de dignité par le travail-emploi. « Je crois à la société du travail, parce que c’est l’outil de la dignité du citoyen », souligne Arnaud Montebourg. Pour Martinez, le revenu universel est « la négation de la notion de travail ». Tout dépend là encore de la définition du travail. Car l’emploi peut être un outil de dignité, mais aussi d’indignité profonde. En quoi est-ce digne d’avoir des hémorroïdes douloureuses à force de passer toute sa journée assis(e) ? Une politique peut améliorer les conditions de travail, mais pourquoi ne se contenter que de cet axe ?

Jean-Louis Gombeaud (Le 1, n° 139) est choqué par « l’idée de faire dépendre le revenu des gens non d’un travail, mais d’un chèque ». Mais rien n’empêche les gens de se contenter de ce revenu-là. Et s’ils s’en contentent, c’est peut-être que l’emploi qu’on veut leur refourguer, ils ne le perçoivent pas vraiment, à juste titre, comme un outil de dignité…

Le même Jean-Louis Gombeaud pense que « c’est le travail qui fait le citoyen » : proposons donc la déchéance de nationalité pour les chômeurs et naturalisons les clandestins qui travaillent alors — la seconde proposition me paraît d’ailleurs juste. On pourrait aussi se demander s’il y a des qualités de citoyens en fonction de la valeur du travail du coup : un trader payé très cher est-il plus citoyen qu’un smicard ? Lui donnera-t-on plus de droits ?

Pour lui, c’est le travail « qui socialise » et qui « crée des liens dans la société » ? Entièrement d’accord avec lui : si seul le travail crée des liens dans la société, alors il faut appeler travail tout ce qui crée des liens dans la société, et donc voir au-delà de l’emploi rémunéré : aller à la boulangerie et prendre des nouvelles de son quartier, dire bonjour au facteur, planter des fleurs dans sa rue… Permettre aux gens d’exister dignement, voilà qui permet de créer des liens ! Aussi quand il dit que ce n’est « pas le cash qu’on va distribuer » qui va créer du lien, il a raison : en soi cela ne crée par du lien, mais il permet de s’investir dans des activités qui en créent plutôt que de dépendre de jobs qui n’ont aucun sens et mènent à toutes formes de dépressions.

Mais il nous dit aussi que c’est le travail « qui donne une identité »… Pour avoir été au chômage, je n’ai pas eu la sensation de perdre mon « identité ». C’est plutôt le discours culpabilisant sur les chômeurs qui est en cause. Le temps libéré m’a permis de faire des choses très intéressantes et que j’estime utiles pour les autres et que je n’aurais pas pu faire en étant employé. Je lui recommande Le manifeste des chômeurs heureux, car à quel moment de son existence peut-on penser qu’on va davantage perdre son identité en ayant du temps pour soi et pour les autres plutôt qu’en acceptant un travail déprimant ?

Aussi, s’il y a une vraie valeur travail, un travail dans lequel se joue la dignité de l’homme, elle n’est pas superposable avec l’employabilité. Tout travail digne est un travail au service de la société et non de l’entreprise dans l’absolu. Il s’agit de travailler à la société. Si notre emploi va contre le bien général, qu’il produit des richesses à court terme, mais détruit l’environnement à moyen terme, en quoi est-il un outil de dignité ? Si un parent décide d’élever son enfant plutôt qu’être salarié, en quoi est-il moins utile à la société que s’il était caissier, pilote d’avion ou trader ?

C’est de confondre emploi et travail qui tue la valeur travail, c’est-à-dire qui nie notre capacité à créer du lien social en dehors de toute activité marchande ou salariale. Si je suis bénévole dans une association, suis-je davantage un parasite qu’un optimiseur fiscal ? La question n’est pas tellement technique, elle est bien anthropologique, ce qui nous amène à la critique suivante : mais les gens ne vont rien faire !

Ce qui nous motive à travailler n’est pas l’argent

Si le travail est un outil de dignité, qui refuserait la dignité ? Si c’est ce qui donne sens à la vie, qui refuserait de donner sens à sa vie ? Croire que les gens préféreront regarder la télé toute la journée chez eux plutôt que de se rendre utile ou de créer quelque chose est une absurdité. C’est exactement l’inverse : si des gens, dans le système actuel, sont poussés à ne pas accepter de travail, c’est que les emplois qu’on leur propose ne sont en rien des outils de dignité.

Derrière cette vision de la fainéantise et de l’assistanat, il y a l’idée que l’homme est fondamentalement mauvais, poussé à survivre au détriment des autres et qu’il ne fait les choses bien que s’il est motivé par une récompense. Qu’est-ce qui motivera les gens à travailler, et à être dignes — selon cette logique — si ce n’est pas l’argent ? Ainsi, si on menace les gens de mourir de faim s’ils ne se soumettent pas à être employés, c’est pour leur bien, évidemment, c’est pour qu’ils soient dignes ! C’est précisément cette vision de l’homme qu’il faut battre en brèche.

On observe en effet de manière visible depuis quelques décennies en changement de paradigme dans la vision de la motivation des individus. L’efficacité du système de récompenses et de punition est largement battue en brèche. On retrouve ce changement dans l’éducation et la pédagogie, dans la pédagogie positive par exemple. Daniel Pink résume les trois fondamentaux de la motivation pour des tâches qui demandent de la créativité : l’autonomie (pas besoin d’être contrôlé en permanence), la finalité (le sens qu’on donne à sa tâche) et maîtrise (ce doit être ni trop simple, ni top dur).

Il rappelle qu’au début des années 2000, le projet d’encyclopédie Encarta avait réuni les meilleurs spécialistes et les avait bien payés pour fournir une encyclopédie de qualité. Or, cette encyclopédie a échoué et s’est fait dépasser par Wikipédia, pour laquelle des gens travaillent gratuitement. Sont-ils moins utiles à la société dans ce projet de diffusion du savoir que s’ils avaient été payés pour ?

L’être humain veut avant tout du lien

Si les gens sont motivés par un travail qui donne un sens et pour lequel ils se sentent utiles, c’est qu’ils recherchent du lien. Catherine Ducommun-Nagy, dans Ces loyautés qui nous libèrent, montre que nous avons tendance à nous considérer les uns les autres comme des homo œconomicus, à savoir des êtres qui rationalisent leurs possessions et règlent leurs relations de partage avec les autres de manière à maximiser leur gain et minimiser leurs dons considérés comme des pertes.

Or, nous explique Catherine Ducommun-Nagy, l’être humain est davantage un homo donator qu’un homo œconomicus : il se construit en donnant. Et quoi de plus précieux que donner de son temps, « l’unique bien dont la Nature nous ait dotés », nous rappelle Sénèque. Donner, de son temps, aide à se sentir plus humain.

Catherine Ducommun-Nagy rapporte une expérience qui a été faite dans des quartiers défavorisés, avec des adolescents dont tout le monde consentait à dire qu’il leur manquait des choses, qu’ils n’avaient pas reçu assez de la vie et de la société. Étonnamment, plutôt que d’organiser un projet visant à leur procurer des biens on a organisé un projet où eux, bien que n’ayant pas grand-chose, donneraient à des gens encore plus défavorisés qu’eux. Ces jeunes en sont sortis fiers et grandis, car on leur a permis de donner, de se sentir utiles.

Passer de la défiance à la confiance vis-à-vis de ses citoyens permettrait à l’État de s’inscrire dans une dynamique très profonde : celle de la progression de l’empathie. Jeremy Rifkin, dans Une nouvelle conscience pour un monde en crise, montre que nous sommes persuadés que les guerres et les conflits ont été les moteurs de l’histoire, mais qu’en y regardant de plus près, on s’aperçoit que l’empathie n’a cessé de grandir dans le monde : d’abord cantonnée aux membres de sa tribu, elle s’est étendue aux membres du pays, de son continent et du monde pour même concerner les animaux et les végétaux. La mondialisation est avant tout une mondialisation de l’empathie. Cela ne signifie pas que la haine de l’autre et la guerre ont disparu, mais ils n’ont pas tellement progressé au regard de la progression de l’empathie.

Aussi, ériger l’empathie en moteur de l’histoire pourrait amener État à considérer ses citoyens d’un regard nouveau. Tout d’abord, effectivement considérer que la pauvreté ne peut être un dommage collatéral d’un système économique. Mais surtout, se fonder sur la meilleure part des gens pour ériger un nouveau système. C’est à force de considérer les gens comme des enfants qu’il faut forcer pour leur bien à « travailler » qu’on détruit l’envie de faire des choses réellement utiles. Les gronder ne sert à rien !

Le mythe de l’assistanat

L’assistanat est un mythe très méprisant. Même Benoît Hamon, pour ne pas être accusé de le favoriser, annonce « croire à l’effort ». Soit, ça ne mange pas de pain. Mais comment mesure-t-on cet effort ? À la réussite ? Comment prendre en compte les talents de base ? Si pour être secrétaire j’ai eu plus d’effort à faire qu’un autre pour être médecin, serai-je plus payé ? Valoriser l’effort est sans doute utile individuellement pour encourager la persévérance (l’ouvrage de Carol Dweck est lumineux à ce sujet), mais en faire un pilier d’une société conduit à des impasses évidentes qui, sous prétexte de mérite, perpétuent des inégalités.

De plus, c’est tout à l’honneur d’une société que de s’assister entre citoyens par divers biais, pas qu’au moyen d’activité rémunérée. Le problème est que cette question de l’assistanat ne se pose que dans un sens. Et quand les grandes entreprises touchent des aides, n’est-ce pas de l’assistanat ? Quand les médecins dits libéraux sont payés par la Sécurité sociale et ne sont en rien libéraux, n’est-ce pas de l’assistanat ? Quand on bénéficie d’une niche fiscale, n’est-ce pas de l’assistanat ? Quand Pénélope Fillon touche 5000 euros pour travailler moins longtemps, moins durement et sans plus de compétence qu’une secrétaire de PME, n’est-ce pas de l’assistanat ?

Le revenu universel coûte, mais il rapporte !

Le coût du revenu universel est épineux, car, en fait, on n’en saura jamais rien avant de le faire. En effet, cette question est souvent mal posée, car on ne calcule jamais ce que rapportera cette mesure. La question du coût, dans ces conditions, n’est pas pertinente. Car tout cet argent ne sera pas thésaurisé, il sera réinjecté dans la consommation. Combien va-t-on économiser en souffrance au travail en moins ? En arrêts maladie ? En antidépresseurs ? Notons encore qu’on peut faire des projections sur ces données. Mais il y a aussi les données impossibles à deviner. Il y a dans toute réforme un certain nombre d’effets imprévisibles et inchiffrables. Or, on se concentre sur les effets pervers possibles d’une telle mesure.

Mais il y a des effets vertueux : combien d’innovations naîtront de cette oisiveté ? Combien de projets locaux de type coopératives verront le jour ? Combien d’actions concrètes de solidarité ? Combien de gens oseront entreprendre sachant qu’ils ne risquent pas tout ? Le revenu universel sera un créateur de richesse par les projets que les gens feront naître par réelle envie.

Aussi, le sociologue Jean Viard (le 1, n° 139) se trompe quand il voit dans le revenu universel une « défaite de la pensée ». Comme certains font le pari que le travail raréfiera, le projet pour lui « transpire la peur, la fin de l’homme inventif et créatif ». Or, c’est exactement l’inverse : le revenu universel, en écartant l’idée de la survie, permet aux hommes d’être créatif, de quitter un bullshit-job pour vivre peut être plus modestement, mais en donnant du sens à leur vie à travers la création. Ce n’est pas parce que le travail va se raréfier qu’il faut le revenu universel pour compenser et aider les gens à vivre — sur ce point je suis d’accord —, mais avec le revenu universel les gens pourront inventer et créer de nouveaux projets et faire émerger des idées susceptibles de créer des emplois.

Quelle somme attribuer aux gens ?

Pour Frustration, le revenu universel est une « fausse bonne idée ». La revue argue que « la plupart font osciller le montant du revenu universel entre 450 et 750 € », soit moins que le seuil de pauvreté. Mais c’est attaquer le revenu universel dans une de ses matérialisations, pas dans son esprit même. Qui a dit que c’était la limite ultime du revenu universel ? En effet, le revenu universel pourrait être non pas porté à 600-700 euros, mais plutôt à 1000 euros. La somme demande à être discutée, mais l’idée est que quelqu’un puisse non seulement survivre, mais vivre correctement quoique modestement avec cette somme pour ne plus dépendre du travail salarié.

De là tombe l’argument un peu bidon : « à 750 € par mois, il permet à peine d’assumer un loyer sur Paris ». Mais personne n’est obligé d’habiter à Paris ! Si on a une somme permettant de vivre ailleurs, personne ne serait obligé de vivre dans une grande ville, et certains seraient ravis de partir à la campagne — avec les créations de petits commerces que cela susciterait, bingo ! Il pourrait y avoir une discussion sur le montant du revenu universel du type : seuil de pauvreté x 1,25, par exemple.

Fragiliser les salariés ?

Frustration pointe l’idéal sous-jacent de « désalarisation » au profit d’une logique d’autoentrepreneurs ubérisés. Là encore, ce risque me paraît infondé. Je suis même pour une contractualisation très forte des emplois puisque les gens ne seront pas dépendants de ce travail. Ils seront en mesure de négocier leurs conditions de travail puisqu’ils n’en auront pas besoin pour vivre décemment. Ils auront enfin un contrepoids à la pression du marché.

Pour Paul Jorion, « on imagine de la même manière dans un cadre de revenu universel, le salaire mensuel de nombreux emplois s’alignant sur 1 €. Cet euro symbolique offrirait la fierté d’un travail rémunéré en sus de la sécurité d’un revenu universel ». Cet argument ne tient pas la route si le revenu universel est assez élevé.

Le revenu universel permet une reconfiguration de ce marché. Qui fera les tâches ingrates, demande-t-on parfois ? Soyez sûr que lorsque les tâches ingrates seront mieux payées, il y aura du monde. Et si on refuse de les payer mieux, c’est qu’elles n’étaient pas si utiles. On revalorisera ainsi les métiers vraiment utiles et les métiers demandant de vrais efforts seront revalorisés. Moi aussi je crois à l’effort !

La question des aides sociales

Mais plus en profondeur encore, Frustration estime qu’il risque d’y avoir moins d’aides sociales. Mais qui touche aujourd’hui près de 1000 euros d’aides sociales ? On pourrait y fondre quasiment toutes les aides — à l’exception de certains handicaps qui demandent des aménagements très spécifiques. Les APL n’auraient plus grand sens dans la mesure où personne ne serait forcé, pour le travail, d’habiter une ville avec de hauts loyers.

Quant aux allocations familiales, le changement est très simple : puisque les enfants touchent aussi le revenu universel, on allouerait une partie aux parents pour leur éducation et l’autre partie serait touchée à leur majorité. Ainsi, les jeunes entreraient dans l’âge adulte avec une sorte de petit héritage. Cet argent pourrait servir aux études ou à investir dans des projets.

Une critique sérieuse

Il y a cependant une critique sérieuse au revenu universel : sa captation par le privé, comme l’explique toujours Paul Jorion. En effet, comment s’assurer que tous les prix n’augmenteront pas puisqu’on saura que les gens peuvent payer plus ? C’est un vrai problème, même si on peut imaginer des solutions. Les prix de l’immobilier peuvent être régulés en limitant les augmentations ; pour que le prix des denrées alimentaires augmente, il faudrait que toutes les entreprises s’entendent pour les augmenter puisqu’il suffirait qu’une seule garde des prix bas pour attirer tout le monde… On peut quand même objecter cette crainte, car alors le revenu universel ne servirait strictement à rien.

Alors, pourquoi défendre le revenu universel quand même ? La réponse est assez simple : c’est une question de présupposés et de croyances. Je m’explique. Les limitations économiques et techniques nous paraissent parfois insurmontables alors que bien souvent c’est notre hésitation du postulat de base qui est en jeu. Lors de la crise de 2008, les caisses de l’État étaient déjà vides. Pourtant, comme on a pensé qu’on ne pouvait pas ne pas sauver les banques, on a trouvé une solution. Plus prosaïquement, c’est comme tomber à un examen sur un sujet de dissertation dont l’énoncé nous fait penser qu’on n’a rien à en dire, mais sur lequel on arrive finalement à dire des choses, n’ayant pas la possibilité de le changer.

Autrement dit, tout l’enjeu n’est pas aujourd’hui de trouver des solutions techniques : il est de faire du revenu universel un principe indiscutable, de telle manière que, ne pouvant pas ne pas l’appliquer, on réfléchisse vraiment aux solutions. Tant qu’il apparaît comme une hypothèse utopique, on est difficilement créatif pour trouver des solutions. Rien de mieux qu’être au pied du mur pour penser de manière neuve !


Aussi, la discussion sur le revenu universel doit être avant tout une discussion philosophique sur le sens que nous donnons à la société et sur une certaine vision de l’être humain.

Si on voit le travail comme un service rendu à la société, on comprend que le revenu universel ce n’est pas le méprisant et peillonesque « Je te donne de l’argent, tu restes chez toi et je me sens quitte ». C’est précisément de l’argent pour que tu sortes de chez toi, crées, expérimentes, donnes de ton temps pour les autres. Si Vincent Peillon veut « se sentir quitte », c’est sans doute qu’il se sent coupable de la situation dans laquelle se trouvent le pays et les chômeurs.

Mais pour qui ne considère pas le chômage comme une infamie, mais une opportunité, pour peu qu’il n’ait pas à se préoccuper de vivre décemment, le revenu universel est un pari humaniste et somme toute raisonnable. Sa difficulté n’est pas les solutions techniques à y trouver, mais le saut philosophique qu’il oblige à faire.

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