La Gestion mentale d’Antoine de La Garanderie : un outil pédagogique polyvalent

La Gestion mentale est l’œuvre d’Antoine de La Garanderie, enseignant de philosophie français qui s’est intéressé de près à la réussite de ses élèves. C’est un outil pédagogique très utile qui peut se fondre assez aisément dans n’importe quel dispositif pédagogique, de l’école aux formations pour adultes en passant par les universités.

Publié le 29 mars 2017


La Gestion mentale est l’œuvre d’Antoine de La Garanderie, enseignant de philosophie français qui s’est intéressé de près à la réussite de ses élèves. C’est un outil pédagogique très utile qui peut se fondre assez aisément dans n’importe quel dispositif pédagogique, de l’école aux formations pour adultes en passant par les universités.

Il demande de se former pour utiliser son plein potentiel. Mais la seule prise de conscience de ses grands principes permet de s’améliorer facilement en tant que formateur ou enseignant. C’est le but de cet article : vous faire prendre conscience que nous ne fonctionnons pas tous de la même façon dans nos têtes pour relativiser l’idée d’une « bonne méthode » universelle d’apprentissage.

De la phénoménologie à la pédagogie

La Gestion mentale est le fruit de réflexions philosophiques pointues que je résume et simplifie ici. La question fondamentale d’Antoine de La Garanderie est : comment un objet du monde devient-il un objet de connaissance ? Il y a une pomme devant moi, qui est un objet du monde dont l’existence est réelle, c’est-à-dire indépendante de ma perception. Pourtant, en tant qu’individu, j’ai affaire à ma représentation personnelle de cette pomme — et je ne peux avoir affaire qu’à ma représentation, par le biais de mes sens.

De manière naïve, on conçoit que nos sens reçoivent des impressions et qu’on s’en fait une représentation passivement. Antoine de La Garanderie s’inscrit dans le courant phénoménologique qui conçoit l’acte de percevoir dans un entre-deux. L’objet réel projette des informations qui vont à ma rencontre (odeurs, rayons lumineux, ondes sonores…), mais en tant qu’individu je projette une partie de moi (pas mon corps astral, non, on n’est pas chez Steiner !) vers l’objet un projet particulier.

Ce que je projette est une intention singulière. Autrement dit, mes sens vont projeter des filets ou des filtres dans le monde qui vont en ramener certaines informations, et non la totalité de ces informations. Cette intention est ce que va donner du sens à ma réalité. Par exemple, si c’est l’utilisation pratique des connaissances qui fait sens chez moi, me plonger des heures dans les explications sera vite démotivant.

La gestion mentale permet de faire découvrir à chacun ce qui fait sens chez chacun pour lui permettre de trouver du sens dans n’importe quelle tâche mentale.

C’est de ce postulat qu’elle tire son ambition de faire réussir tout le monde, ambition vite caricaturée. Il en s’agit pas de dire que tout le monde peut avoir 20/20 dans tout, mais que, toutes choses égales par ailleurs et en l’absence de trouble psychologique et émotionnel majeur (auquel cas, passez au cabinet, je vais vois ce que je peux faire – petit placement de produit), chaque élève peut avoir 12/20. Le chiffre donne une idée, ce n’est évidemment pas un critère fixe.

Les évocations : au cœur de notre vie intérieure

Antoine de La Garanderie fait ce constat intéressant : la pédagogie s’intéresse souvent à la manière de donner des informations aux élèves et se focalise sur l’évaluation de la restitution de ces informations. Mais elle ne dit rien sur ce qui se passe entre les deux, c’est-à-dire ce qui se déroule dans la tête de chacun après avoir reçu l’information, ce qu’il nomme l’évocation et qui donne sens à nos opérations mentales.

Dit autrement, il y a 3 temps dans la situation pédagogique : perception, évocation, restitution. L’évocation est laissée de côté, car il est difficile d’y avoir accès autrement que par l’introspection.

Or, l’introspection est scientifiquement dénigrée, car elle ne permet pas d’obtenir des données objectives, puisqu’elle dépend de ce que disent les sujets de ce qui se passe dans leur tête, sans possibilité d’objectiver ces processus — d’où le dénigrement par la science psychologique des travaux d’Antoine de La Garanderie. Et pourtant, la pratique montre que cet outil est extraordinaire.

Ainsi, à force de demander à des personnes comment elles faisaient pour faire telle tâche mentale quand elles les réussissaient, Antoine de La Garanderie a dessiné une cartographie de notre mental, que je présente brièvement.

La nature de l’évocation : à quoi ça ressemble dans ma tête

Antoine de La Garanderie a proposé une modélisation de l’activité mentale qui est venue s’enrichir depuis le début de ses recherches. Cette modélisation commence par décrire la manière dont les choses peuvent se passer mentalement lorsque la personne est mise face à des perceptions. Antoine de La Garanderie est connu pour sa distinction des individus visuels et auditifs, auxquels on a ajouté les kinesthésiques. On retrouve ces catégories dans la PNL, mais cela n’a rien à voir.

La vulgarisation de la théorie a fait émerger l’idée qu’un individu visuel avait besoin de supports visuels pour bien apprendre, un individu auditif de supports auditifs. En fait les supports ne concernent que la perception. Or, la Gestion mentale s’intéresse à l’évocation, c’est-à-dire ce qui suit la perception. Un visuel n’est donc pas quelqu’un qui a besoin de perceptions visuelles. Un visuel a besoin de transformer des perceptions auditives, visuelles ou kinesthésiques en évocations visuelles pour pouvoir en faire des objets de connaissance et pouvoir les restituer de manière aussi bien visuelle qu’auditive.

C’est ce qu’on nomme la « langue pédagogique » : la nature des évocations de chacun pour qu’un objet du monde puisse devenir un objet de connaissance. C’est la première porte d’entrée des perceptions dans le monde intérieur.

Mais l’idée reçue précédente a néanmoins un fond de vérité : la traduction vers la langue pédagogique demande un effort lorsque les perceptions sont d’une nature différente, d’où l’intérêt pour le professeur de varier la nature des perceptions qu’il offre aux élèves. Certains le font spontanément, d’autres ont besoin d’explication, comment certains enfants apprendront à faire du vélo seuls et d’autres auront besoin d’être accompagnés.

La tâche est ardue tant, lorsqu’on n’en a pas conscience, nos habitudes évocatives semblent naturelles et universelles. La Gestion mentale est salutaire sur ce point. La conscience de nos processus mentaux nous met en garde contre l’évidence que « pour réussir, il faut faire comme ça et pas autrement ». Or, chacun est tenté de présenter sa leçon selon les modalités qui pour lui ont du sens, ne se doutant pas que certains élèves recherchent le sens dans d’autres façons de faire.

La description de l’activité mentale ne s’arrête pas là. Les évocations peuvent être visuelles, auditives, kinesthésiques ou encore verbales. Et à l’intérieur de ces grandes familles, plusieurs nuances apparaissent, que la Gestion mentale prend en compte. Pour les visuels, s’agit-il d’images fixes ? de diapos ? d’un film ? Y a-t-il un bord ? des couleurs ? Pour les auditifs et les verbaux, quelle est la force de la voix ? de quelle partie du corps vient-elle ? Quelle est la vitesse de la voix ? Pour les kinesthésiques, la palette des sensations est infinie.

Et puis avant même de recevoir mes images, le cadre est-il plutôt spatial ou temporel ? Dans les images, la personne est-elle intégrée à la scène ou comme spectatrice ? La manière d’évoquer les perceptions est une combinaison infinie de paramètres.

Et puis une question de grande importance se pose : que vais-je évoquer dans le flot des perceptions ? Ainsi certaines personnes vont-elles privilégier une image liée à un vécu quand d’autres vont se focaliser sur le concept à l’œuvre. Si on me parle des chats, vais-je m’imaginer des chats que j’ai déjà vus ou vais-je aller vers le concept abstrait en me représentant par exemple le mot chat dans une écriture inédite ?

Autre question : comment relier ces évocations entre elles ? Certaines personnes choisiront des liens logiques — cause, conséquence, chronologie, sériation — quand d’autres inventeront des liens inédits. Par exemple, si on demande à des gens d’évoquer la phrase « le chat monte à la gouttière », certains pourront associer chat à gouttière grâce à l’expression « chat de gouttière » quand d’autres se représenteront qu’une souris est peut-être cachée dans la gouttière, ce qui motive le chat à y monter.

Les gestes mentaux : comprendre comment ça marche dans sa tête

Les élèves se retrouvent pour beaucoup dans la situation d’un enfant qui n’aurait jamais vu personne faire de vélo et à qui on demanderait d’en faire sans lui montrer comment ni lui décrire les étapes nécessaires. Devant son incapacité, il se verrait dire « Concentre-toi », « Fais un effort », « Mets-y du tien », « Fais plus attention »… Absurde, n’est-ce pas ?

C’est pourtant ce qui se passe quand on dit à un enfant qui ne comprend pas un exercice : « Réfléchis un peu ! » et autres injonction de ce genre. Mais si cet enfant demandait à son enseignant : « Comment faire pour être attentif ? », « Quelle est la procédure pour être plus impliqué ? », etc. il serait bien en mal de répondre vraiment. « Essaye de comprendre ! » Oui, mais comment ?

Alors évidemment, on comprend bien que décrire des gestes physiques ce n’est pas la même chose que décrire un geste mental. C’est tout l’enjeu de la Gestion mentale : trouver le mode d’emploi de nos gestes mentaux, savoir ce qui permet à chacun de faire sens.

La Gestion mentale pense que l’activité mentale se résume à 5 gestes mentaux qu’on peut décrire : l’attention, la mémorisation, la réflexion, la compréhension et l’imagination.

1. L’attention consiste à faire le plein d’évocations, c’est-à-dire mettre le plus de choses dans sa tête. L’attention demande du temps, ce dont les élèves manquent souvent pendant le cours. Les professeurs formés à la Gestion mentale ménagent très régulièrement des pauses durant l’heure de cours — 30 secondes peuvent suffire — pendant lesquels les élèves peuvent faire le point sur ce qui a été vu depuis le début de la leçon.

2. La mémorisation [c’est l’occasion de se plonger dans une thèse passionnante sur le par cœur !] est un acte par lequel on se projette dans le futur : l’élève doit imaginer les situations futures dans lesquelles il aura à mobiliser son savoir s’il veut pouvoir l’activer. Ainsi, on évite le cas des élèves qui savent très bien réciter devant leurs parents le soir, mais n’y arrivent pas en classe parce qu’ils ne se sont projetés que pour la récitation devant les parents, pensant naïvement qu’ayant réussi un ils réussiront l’autre.

3. La réflexion consiste à aller chercher dans le stock des connaissances celles qui pourront être utilisées pour une situation nouvelle. Cela suppose que ses connaissances ont été mémorisées correctement. Cette remarque est importante dans le cas des élèves lents. Une partie de ces élèves sont dans le cas suivant : ayant compris quelque chose, ils se dispensent d’apprendre par cœur formules et définitions, ce qui les amène à dérouler constamment un long fil au lieu d’avoir en stock des connaissances mobilisables plus rapidement.

4. Pour La Gestion mentale, comprendre consiste à traduire pour soi une situation nouvelle en des termes connus par soi. C’est le geste le plus psychologique, car il est en même temps un sentiment : le sentiment d’avoir compris. Antoine de La Garanderie met en garde contre des expressions comme « Tu n’as pas compris », car à proprement parler un élève persuadé d’avoir compris a toujours compris quelque chose : il l’a traduit à côté de la plaque par rapport à ce que nous en attendions, mais dans sa logique, ce qu’il a produit est cohérent. Partons toujours de ce qu’il a compris pour comprendre où il s’est trompé.

5. L’imagination est un geste qui imprègne les autres et qui est lié à la capacité d’anticipation. Imaginer consiste à porter constamment sur les objets, les événements, les leçons, etc. un regard qui imagine ce qu’on pourra faire de l’information, quelles ressemblances on trouve avec d’autres choses, quelles différences on pourrait trouver, quels changements on pourrait opérer, etc.

Les projets de sens : le sel de la Gestion mentale

C’est la partie la plus profonde de la Gestion mentale. Le projet de sens est ce par quoi une partie de moi va chercher du sens en dehors de moi dans les différents gestes mentaux.

Ces projets sont recoupés par couples d’opposés, chacun représentant l’extrémité d’un continuum. Certains projets de sens sont très forts chez les uns, alors que d’autres personnes se trouvent plutôt au milieu de ce continuum. Voici 3 de ces couples sur les 10 recensés.

1. Les opposants et les composants différèrent sur la manière d’accueillir une information nouvelle. Les composants ont d’abord besoin d’être d’accord avant de prendre du recul, alors que les opposants ont d’abord besoin de recul avant de pouvoir être d’accord. Les opposants sont parfois difficiles à gérer : ils trouvent toujours la petite bête, l’exception à la règle, relèvent les erreurs du professeur…

Il ne faut pas confondre oppositions cognitive et émotionnelle : les opposants ne sont pas forcément des individus conflictuels. Confondre les deux choses peut faire des ravages, comme ne pas permettre à un opposant d’exprimer son désaccord intellectuel en imaginant qu’il est motivé par une hostilité à notre égard.

2. Les expliquants et les appliquants diffèrent dans leur manière de comprendre quelque chose. Les premiers doivent avoir accès à l’explication pour estimer avoir compris, ils cherchent souvent la règle. Les seconds estiment que comprendre quelque chose c’est savoir comment l’utiliser. Pour les premiers, comprendre la différence entre « et » et « est », c’est pouvoir dire : « “est” est le verbe être à la 3e personne du présent, “et” est une conjonction de coordination ». Pour les seconds, comprendre cette même différence consistera à savoir mettre les mots manquants dans cette phrase : « Mon chat… blanc… noir. »

3. La fin et les moyens représentent deux modes de passage à l’action. Imaginons un couple qui visite un appartement à acheter. Un des deux imaginera tout de suite le résultat final qu’on peut obtenir : on dira qu’il est dans la fin. L’autre projettera plutôt les travaux qu’il faudra réaliser : on dira qu’il est dans les moyens. Certains élèves ont besoin de savoir où ils vont pour se mettre à travailler, d’avoir une idée de la globalité de la démarche (commencer un livre un lisant d’abord la fin, par exemple) tandis que d’autres n’en ressentent pas le besoin.

Cet article présente un aperçu de la Gestion mentale. Si vous le sujet vous intéresse, je vous recommande en priorité un livre qui fait la synthèse la plus claire de l’ensemble de cet outil : Guy Sonnois, Accompagner le travail des adolescents : Avec la pédagogie des gestes mentaux, éditions Chronique Sociale, 2009.

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