Du canular homophobe de TPMP

Publié le 27 juin 2017


Pourquoi réfléchir à la séquence controversée du canular homophobe de TPMP plus d’un mois après ? Parce que

  1. je procrastine ;
  2. ça me permet d’arguer qu’il faut prendre du recul sur l’actualité et de qualifier pompeusement cette considération d’intempestive ;
  3. ça permet de voir ce qui n’a pas été forcément dit, ou pas assez clairement ou sur un autre ton. Car je me trouve dans une position qui n’a pas été très représentée ces derniers mois : je trouve que canular était homophobe et en même temps j’aime bien TPMP et Cyril Hanouna. Aussi, je pense pouvoir donner un avis sans excès ni mépris, contrairement à la quasi-totalité des articles qui sont parus.

C’est l’émission du lendemain, ci-dessous, dans qui m’a surtout intéressée, celle où les chroniquer sont revenus sur la séquence et la polémique. Étrangement, à part Cyril Hanouna, tout le monde trouvait que c’était trop injuste et que le canular était au pire « déplacé ».

[La séquence vidéo n’est plus disponible.]

Personne ne semble réellement comprendre le fond du problème de ce canular. Plusieurs arguments sont avancés pour défendre l’émission, dont deux sur lesquels je reviens : 1) Ce n’est qu’une caricature et non ce qu’on pense réellement de l’homosexualité ; 2) On ne peut plus rien dire sur rien ni rire de tout. Ce faisant, l’équipe ne prend pas acte de la violence terrible du canular.

Notons que la question de l’homophobie du canular a été court-circuitée par une autre question : l’homophobie de Cyril Hanouna. Pourquoi court-circuitée ? Car elle a empêché les chroniqueurs de juger le canular, pensant que cela vaudrait pour son auteur. En gros, si le canular est homophobe, on en déduit que son auteur l’est. Mais puisque Cyril Hanouna agit aussi dans un sens qu’on peut qualifier d’anti-homophobe (comme la déclaration d’amour d’un garçon à un autre dans une émission de TPMP, d’où est extraite l’image de couverture de cet article), on devrait aussi en conclure qu’il n’est pas homophobe. Or, comment peut-il l’être et ne pas l’être en même temps ? Le débat devient un dialogue de sourds où chacun campe sur ses positions en fonction d’où démarre son raisonnement : de la personne ou du canular.

Mais savoir si Cyril est homophobe est sans intérêt. Le sketch l’est, et c’est la seule chose qui compte. Ce n’est pas parce que son auteur se bat contre l’homophobie que ses actes ne peuvent pas, malgré ses intentions, aller dans le sens de l’homophobie. Et ce n’est pas non plus parce que le canular est homophobe qu’il émane d’un être homophobe.

Pourquoi ce canular a-t-il été perçu comme homophobe ? Parce que, d’un point de vue pragmatique, c’est exactement ce qu’aurait pu faire un homophobe. Ce canular agit, à travers la parole, comme un homophobe. Il opère deux actes d’une grande violence : dans la caricature qu’il opère de l’homosexuel et dans l’outing. Et tout cela, avec pour défense la plainte du « On ne peut plus rien dire » !

1) Violence du canular

a) Le prétexte de la caricature

Cyril Hanouna se défend en disant qu’un sketch, c’est de la caricature. Passons sur cette généralisation abusive, car on peut imaginer plein de formes d’humour ne passant pas par la caricature, comme un humour fondé sur les jeux de mots.

Mais l’aveu est très intéressant et révèle un vrai préjugé homophobe. En effet, une caricature amplifie des traits caractéristiques. Or, quel est le trait caractéristique de l’homme homosexuel pour Cyril Hanouna ? Il est efféminé.

Aussi, pour aimer un homme, quand on est un homme, il faut être du côté de la femme. Le couple serait forcément l’alliance d’un homme et d’une femme, quand bien même ils s’incarneraient dans deux personnes du même sexe — d’où cette question ridicule à laquelle les couples homosexuels font parfois face : « Qui fait l’homme et qui fait la femme ? »

Un homosexuel n’est donc pas un vrai homme : il ne saurait être, sans même parler de virilité, lambda et aimer un autre homme. Sachant qui plus est que dans les représentations, les femmes sont vues comme inférieures à l’homme, pour le dire vite, l’homme homosexuel serait donc inférieur aux autres hommes. Le gay n’est pas un vrai bonhomme quoi.

Là où c’est dommage, c’est que le canular a été réitéré dans l’émission. Pourquoi ne pas avoir campé d’autres personnages, d’autres manières de pouvoir être homosexuel, puisque le plaisir de Cyril Hanouna était celui-là ? Pourquoi Jean José n’aurait-il pas simplement pu avoir une fois un accent portugais, vu son prénom, par exemple, pour montrer que l’homosexualité ne se réduit pas être efféminé, quand bien même cette réalité existe et n’a rien d’infamant. L’infamant en revanche est de donner à penser qu’elle n’est que cela, qu’elle est cela par essence.

Le moment le plus ridicule de la séquence pro-caricature est sans doute quand Valérie Benaïm brandit l’étendard du « droit à la caricature » : on s’est battus pour, des gens sont morts pour, blablabla… On imagine qu’elle fait référence, entre autres, aux attentats contre Charlie Hebdo, et de manière plus générale à l’histoire de la caricature. Mais ce qu’elle dit est absurde : il n’y a jamais eu besoin de se battre pour caricaturer les faibles, les minorités, les opprimés…

La caricature est courageuse quand elle s’attaque aux puissants, à ce dont on peut craindre les représailles, pas à des personnes qui, à cause d’une caractéristique à laquelle elles ne peuvent rien, sont souvent obligées de cacher leurs sentiments, de ne pas afficher leur amour en public, de mentir systématiquement quand on les questionne sur leur vie amoureuse, des personnes qui ont un taux de suicide plus élevé que le reste de la population à cause de cette pression de la normalité qui pèse sur eux. Caricaturer l’homosexuel en tant que tel c’est lui rappeler à quel point il est une catégorie à part.

La même Valérie Bénaïm considère que caricaturer c’est considérer que tout le monde est égal. Mais faire croire que toutes les situations sont égales c’est nier les difficultés et discriminations propres à un groupe. C’est comme si on décidait de taxer tout le monde de 10 000 euros pour montrer que tout le monde est égal, et tant pis pour ceux qui ne gagnent même pas cette somme. Se moquer de gens qui ont déjà dû subir et subissent encore des moqueries, on a vu mieux comme démarche d’intégration !

b) L’outing, une violation de la vie privée

C’est la dimension la plus surréaliste de cette affaire. À aucun moment, les gens qui ont préparé l’émission ne se sont dit que la personne qui répondrait est peut-être une personne n’ayant pas annoncé à ses proches son orientation sexuelle et qu’elle serait reconnue, sa voix n’étant pas transformée ? Personne ne s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée qui peut donner suite à des poursuites. À l’humiliation de voir ses désirs et son comportement intime rendus publics, s’ajoute la violence d’un outing dont on ne peut prévoir les conséquences.

Le problème n’est pas tant qu’il y ait eu plus d’un million de téléspectateurs, mais que dans le lot il y ait pu avoir ne serait-ce qu’une personne connaissant les piégés. Le problème n’est pas tant non plus de savoir si un des jeunes qui a appelé a effectivement eu des problèmes avec sa famille ou non : faire un tel canular rend cette situation possible.

À quoi bon aider une association qui aide les jeunes victimes du rejet de leur sexualité par leur famille si c’est pour prendre le risque, ne serait que chez une seule personne, de créer ce risque. Et pour quoi ? Pour en faire rire beaucoup d’autres. C’est un peu pompier pyromane comme attitude !

2) La rengaine du « On ne peut plus rien dire »

Un point très intéressant est l’argument qui revient toujours dans ce genre de polémique. C’est Benjamin Castaldi entonne le refrain du « On ne peut plus rien dire ». Pour lui, avec les années qui passent, on ne peut plus rien dire. Étrange ? De quoi rient-ils tous à longueur d’émission alors ?

La question n’est pas de pouvoir dire des choses, mais de savoir ce qui est acceptable. Or le fait de trouver que des blagues deviennent inacceptables est-il forcément une régression ? Une perte de liberté ? Le fait d’une censure ? D’un puritanisme ? On entend en filigrane la complainte du « politiquement correct ».

Une autre hypothèse est que ce rejet de certaines formes d’humour n’est pas dû à une augmentation de la censure, mais bien plutôt une augmentation de la sensibilité et de l’empathie des gens. Ces sketchs ne font simplement plus rire parce que les gens sont davantage touchés par les difficultés des personnes en situation de minorités, victimes de discriminations…

Jeremy Rifkin, dans Une nouvelle conscience pour un monde en crise : Vers une civilisation de l’empathie, propose brillamment de relire l’histoire de notre civilisation comme une marche grandissante de l’empathie. Plus le temps passe, plus nous sommes en mesure de nous soucier non plus seulement de notre clan, mais de tous les êtres humains et de la planète elle-même.

Aussi, si avant — cet « avant » qui était tellement mieux ! – on pouvait se moquer de certaines situations précaires, ce n’est pas parce qu’on était des esprits libres, mais bien plutôt parce qu’on s’en foutait, parce que leur situation nous touchait globalement moins — bien sûr que certains y étaient déjà sensibles. Mais globalement, pourquoi le canular d’Hanouna fait-il moins rire qu’il l’aurait fait il y a plusieurs années ? Parce qu’aujourd’hui, les gens ont plus conscience que celui qui aurait pu répondre à l’annonce aurait pu être un frère, un ami, voire un père.

Grâce à une parole qui s’est libérée en bien sur l’homosexualité, malgré les épigones de haine lors du mariage homosexuel, de plus en plus de gens la banalisent, ne sont plus gênés en l’imaginant, n’ont plus besoin de la caricaturer pour l’appréhender, n’éprouvent plus de dégoût pour elle, compatissent avec la situation des homosexuels dans leur difficulté à vivre normalement leur orientation.

Autrement dit, c’est ce canular qui est une régression, pas le fait de ne pas en rire. Il est d’ailleurs étonnant de voir brandir l’esprit des radios libres des années 1980 pour le défendre. Quelle modernité !

Que ce canular ait suscité l’indignation est donc au contraire un signe d’évolution de la société vis-à-vis de l’homosexualité. La réaction n’est en rien disproportionnée : elle est le symptôme d’un basculement global et qui a cessé d’être moqueur du regard vis-à-vis de l’homosexualité. Comme pour la caricature, briser le « politiquement correct » n’est courageux que lorsque les puissants sont visés, pas les précaires.

Un humoriste sur le plateau, Waly Dia, regrette les étiquettes d’homophobe, de racisme, d’antisémitisme dès qu’on « aborde une thématique ». Mais le problème n’est pas la thématique ! C’est le traitement de cette thématique. Car aucune thématique n’est drôle en soi. C’est là le drame : croire qu’il suffirait de parler de mettre en scène des homosexuels pour faire rire, c’est reconnaître qu’elle est risible en soi.

En vérité, et c’est dans doute ce que beaucoup n’ont pas compris, le problème n’est pas que certains sujets soient interdits, mais que le public exige un traitement humoristique plus intelligent de ces sujets. Et ça, c’est embêtant, parce que ça demande des efforts, on ne peut plus se contenter de mimer un singe pour faire une blague sur les noirs — à moins qu’on ne mime un noir pour se moquer des singes —, par exemple, ou surjouer un homme maniéré pour faire un sketch sur l’homosexualité.

Néanmoins, il ne peut pas s’agir de ne plus faire de « blagues homosexuelles ». Car on a du mal à comprendre : qu’est-ce qu’une blague homosexuelle ? Une blague attirée par une blague du même sexe qu’elle ? Une blague mettant en scène des homosexuels ? Une blague se moquant des homosexuels ? Une blague fondée sur un jeu de mots n’ayant de sens que dans un contexte homosexuel ?… Si une blague juive est une blague qui est typique de la communauté juive, il ne me semble pas qu’il existe un humour homosexuel.

La thématique de l’homosexualité ne doit pas disparaître, mais bien trouver un registre d’expression humoristique qui rassemble. Sans doute existent-ils déjà des humoristes qui le font : espérons qu’ils aient une plus large audience avec le temps.

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