Montessori et Steiner : ressemblances et différences

Les pédagogies Montessori et Steiner sont souvent qualifiées d'« alternatives ». Au-delà des ressemblances existent de vraies différences.

Publié le 5 mars 2017


Ayant été formé à la pédagogie Waldorf-Steiner, dite « Steiner » pour aller plus vite, j’ai été amené à discuter avec beaucoup de monde des « pédagogies alternatives ». Cette expression regroupe toutes les manières d’enseigner qui ne sont pas celle de l’école traditionnelle. Elle est donc très vague, et peut regrouper des méthodes dont les principes sont très différents.

J’ai voulu en savoir plus, étant souvent confronté à des questions sur la différence entre les deux. Ce que je dis de la pédagogie Montessori se fonde sur le livre Montessori : Apprends-moi à faire seul, La pédagogie Montessori expliquée aux parents de Charlotte Poussin. Il s’agit plus de notes que d’une comparaison très méthodique. Cela concerne plus particulièrement la petite enfance et l’école maternelle.

La spiritualité

Étonnamment, Montessori et Steiner ont tous les deux ont une vision spirituelle de l’éducation, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur une vision de l’être humain qui a à voir avec une sorte de transcendance. Je dis « étonnamment », car c’est une dimension peu connue de Montessori. Cette vision particulière se caractérise chez les deux par une certaine idée des phases de développement de l’enfant.

Mais la pédagogie Montessori peut se pratiquer sans référence à cette vision qui la fonde, n’être que pratique alors que la pédagogie Steiner demande une adhésion plus marquée de la part des enseignants, mais pas tellement des élèves et parents . La pédagogie Montessori est proprement « scolaire » : on y vient pour apprendre et on se sert des phases de développement pour apprendre le mieux possible.

La pédagogie de Steiner est plus holistique : on y vient pour se développer et équilibrer les trois pôles de l’être humain que sont la tête (l’intellect, le penser), le cœur (les sensations et les sentiments, le ressentir, à travers l’art notamment) et le corps (les activités qui transforment le monde comme l’artisanat). Les apprentissages sont alors au service des phases de développement : c’est le principe de base de cette pédagogie.

[Fait intéressant que je ne sais pas où placer : les deux se sont d’abord occupés de handicapés avant d’élargir leur méthode à tous les enfants.]

Le même fondement : l’imitation

Les deux pédagogies considèrent l’imitation comme la marque de l’enfance, et surtout de la petite enfance. Montessori parle de l’esprit « absorbant » de l’enfant : les enfants absorbent tout ce que leur environnement leur offre et se développent en interagissant avec lui.

Pour Steiner, le petit enfant apprend en observant les adultes, d’où l’importance pour eux de s’adonner à une forme d’auto-éducation permanente. Les adultes doivent être des modèles dans leur comportement pour les enfants.

Éduquer selon les phases de développement

Les deux pédagogies considèrent que l’éducation se fait selon des phases de développement, mais ne les placent pas forcément au même moment, même si leur contenu est très proche. Pour Montessori ces phases peuvent se manifester avec 2 ou 3 ans de décalage en fonction des individus, alors que pour Steiner le « calendrier de développement » est plus resserré.

Montessori parle de « période sensible ». Une « période sensible » est une période dans laquelle une qualité demande à être développée, sans quoi l’individu se sent mal et aura plus de difficultés à développer cette qualité. C’est un appel vital et donc irrésistible.

Pour Montessori, ce sont :
— la période sensible de l’ordre (0 à 6 ans) ;
— la période sensible du mouvement (0 à 5-6 ans) ;
— la période sensible du langage (0 à 7 ans) ;
— la période sensible des sensations (0 à 6 ans) ;
— la période sensible aux petits objets (1 à 6-7 ans) ;
— la période sensible à la vie sociale (dès la vie utérine, avec un pic vers 6 ans).

Ces périodes couvrent en gros la période des 0-7 ans de Steiner, avec des caractéristiques communes.

Steiner demande aussi pour cet âge de l’ordre, c’est-à-dire du « même » et donc de la répétition, de la routine, des repères (temps, espace, repas, couchers, soins…). L’enfant doit évoluer dans une ambiance qu’il reconnaît.

Le mouvement est un sens à développer lors de la petite enfance chez Steiner comme Montessori. « L’enfant se construit dans le mouvement » (Montessori). L’enfant ne doit être restreint que quand c’est utile.

Montessori comme Steiner encouragent l’« effort maximum », à savoir les actions dans lesquelles la force de l’enfant est engagée et l’effort soutenu : porter des choses assez lourdes, par exemple. Sur le plan psychologique, il travaille alors sa capacité à sentir qu’avec un effort, malgré l’adversité, le monde lui appartient. De même, on laisse le plus possible l’enfant faire des mouvements « dangereux » : escalader, grimper, marcher en équilibre, etc. Lui dire « tu vas tomber » est sans doute ce qui le fera tomber, plus que l’activité elle-même.

Le sens du langage est moins explicite chez Steiner. Mais dans la pratique, on s’y retrouve : raconter des histoires, faire parler les enfants, parler le mieux possible avec les mots les plus précis… Le langage est développé surtout en parlant aux enfants. Il convient pour Montessori de se mettre à leur hauteur et de les regarder dans les yeux. On reprend les erreurs des enfants en reformulant correctement mais sans répéter l’erreur avant de la corriger.

Une grosse différence apparaît concernant les sensations. Pour Montessori, plus le milieu stimule, mieux les sens se développent. Chez Steiner, on est plus nuancé : le risque de surstimulation existe. On préfère stimuler par des perceptions adaptées à l’enfance : couleurs plutôt pastel, pas de « jeux d’éveil » sophistiqués, pas spécialement d’éveil musical développé pour les tout-petits…

Le jardin d’enfants Steiner place la vie sociale au cœur de sa pratique en essayant, notamment, de mélanger les âges.

Le schéma de développement

Il semble que pour Montessori ces poussées soient purement individuelles et ne répondent pas un schéma global précis. Si un enfant veut apprendre à lire à 3 ans, il faut le faire.

Chez Steiner, la vision est différente : il y a aussi un schéma général de développement qui est nuancé en fonction des individus mais dans une marge plus restreinte.

Ainsi, un enfant qui apprend à lire à 3 ans le peut sans aucun doute, mais cela sera aux dépens d’autres facultés qui « doivent » pour Steiner se développer à ce moment, même si l’enfant ne le manifeste pas forcément. Par exemple, l’apprentissage précoce de l’abstraction à travers la lecture se fait aux dépens d’un bon développement corporel.

La place de la liberté

Pour Montessori, un enfant qui choisit librement ses activités le fait forcément en fonction de cet élan vital car l’enfant porte en lui son propre schéma de développement. Il semble que ce ne soit jamais pour Montessori le signe d’une « pathologie ».

Par exemple, imaginons qu’un enfant ayant subi des maltraitances se focalise pendant des mois sur un type d’activité. On pourrait penser que c’est un blocage de son développement et qu’il faut l’orienter vers autre chose pour le « débloquer ». Il semblerait que pour Montessori ce ne soit pas le cas et que la focalisation sur une activité soit la solution trouvée par l’individu pour se « guérir ». Il n’y a donc pas un schéma de développement initial qu’il conviendrait de retrouver mais un schéma de développement qui s’adapte à chaque instant au vécu de l’enfant.

Ce schéma se laisse deviner par la capacité de concentration de l’enfant. La concentration sur une activité est pour Montessori le signe qu’il s’agit d’une activité répondant à son élan vital. Le silence qui règne dans les écoles Montessori n’est pas le fait d’une discipline sévère mais de l’intérêt profond des enfants pour leurs activités. Peu importe que l’enfant soit rapide ou lent, ce qui compte c’est qu’il soit concentré.

On retrouve cette idée chez Steiner pour l’activité quotidienne du jeu libre, activité pendant laquelle de nombreux matériaux plus ou moins bruts sont mis à dispositions des enfants pour qu’ils inventent des jeux sans intervention de l’adulte (sauf en cas de danger, évidemment) dans le jeu libre, l’enfant équilibrerait ses besoins corporels, émotionnels et intellectuels.

En toute logique, il y a moins d’activités dirigées chez Montessori.

L’erreur

Chez Steiner, il n’y a pas d’erreur scolaire car le jardin d’enfants ne propose normalement pas d’apprentissages scolaires, réservés au primaire.

Chez Montessori, autant que possible, l’enfant n’est pas corrigé par quelqu’un d’autre mais par l’activité lui-même. On ne fait pas de remarques écrites à l’encre sur son travail. Le but d’un exercice n’est pas d’avoir « juste » ou « faux » mais de pratiquer et s’exercer. On peut souligner l’erreur (et encore) mais le mieux est de le faire oralement ou au crayon à papier et laisser l’enfant libre de barrer ou non. La rature n’est pas nécessaire. Pourquoi rayer l’imperfection ? Elle doit être considérée comme une étape vers la réussite. L’exercice est un essai, pas une finalité en soi. Mieux la correction est vécue, plus elle suscite le travail personnel et motive l’effort. Il faut valoriser l’erreur.

Quand l’enfant réussit, mieux l’inciter à se féliciter lui-même et à être content de lui plutôt que lui faire des compliments. Mieux vaut dire « tu dois être content de toi et éprouver de la satisfaction » que « Bravo, tu es très fort ». On retrouve l’idée qu’il vaut mieux valoriser l’effort que l’intelligence, comme l’a montré la chercheuse Carol Dweck.

Cet état d’esprit est totalement transposable chez Steiner, même si à ma connaissance, il ne fait pas l’objet de textes particuliers.

Les activités

Il y a plusieurs types d’activités chez Montessori : Vie pratique, Sensoriel, Mathématiques, Langage, Sciences, Histoire et géographie, Musique, Art. La première et plus simple étant la série d’exercices de la vie pratique qui offre l’occasion aux enfants d’imiter les adultes : porter des paniers, des plateaux, remplir un contenant, etc. Ils sont présentés dans un ordre spécifique, allant du plus simple au plus compliqué.

Chez Steiner, la Vie pratique est finalement le cœur du jeu des enfants. Ces activités ne sont pas considérées comme des exercices et ont lieu lors des jeux libres, si l’enfant le souhaite.

La place de l’imaginaire

Il y a là un vrai hiatus entre les deux pédagogies. Pour Montessori le statut de l’imaginaire est problématique. L’enfant doit s’incarner dans le réel. Il faut que cet ancrage soit fait avant de pouvoir aller dans l’imaginaire. On préférera donc des histoires qui parlent du quotidien des hommes, plutôt qu’une transposition avec des animaux. Si on parle des animaux, on en parle comme pour un documentaire. Montessori déconseille donc aussi l’histoire du père Noël, de la petite souris… car la déception de l’enfant face au mensonge est trop grande. Si cela est faux, quoi d’autre l’est aussi ? Il faut aider l’enfant à percevoir la vérité.

La vision chez Steiner est différente. Le but est de s’ancrer dans le réel mais en partant de l’imaginaire. Le besoin d’ancrage dans le réel va plutôt faire éviter le plus possible le virtuel pour l’enfant, à travers les écrans technologiques. Mais on considère que les métaphores sont le langage naturel de l’enfant, encore proche du « monde spirituel », qu’elles lui permettent de faire le lien vers la réalité plutôt qu’elles n’entravent ce chemin.

Les histoires imaginaires peuvent être des symboles forts, mais il existe aussi des histoires imaginaires « pauvres » symboliquement et « bébêtes », qu’on évitera aussi. Ainsi, le père Noël peut être une allégorie de la générosité inconditionnelle. Il donne corps à une idée abstraite.

Une objection pourrait être faite sur ce point à Montessori (si tu nous lis !) : si l’enfant choisit librement selon son élan vital, alors pourquoi ne pas lui proposer des histoires imaginaires ? S’il les choisit, c’est qu’elles sont bonnes pour lui…

Chez Steiner, on considère que le choix spontané n’est pas toujours le bon. Il peut exister des phénomènes de dépendance ou de fascination dont l’enfant n’a pas la force de se soustraire : les écrans exercent une telle fascination, les bonbons sont une forme de dépendance, etc. Dira-t-on d’un drogué qui ne peut arrêter qu’il suit les impulsions vitales de son être ?

Bilan

Montessori et Steiner considèrent que l’éducation de l’enfant passe par le mouvement, l’imitation, l’ordre. Mais à l’intérieur de ce cadre, Steiner propose une lecture plus rigide ou plus précise — selon le point de vue — du développement sain de l’enfant : les apprentissages scolaires sont ainsi mis de côté chez Steiner jusqu’à 5-6 ans.

La finalité de Montessori est avant tout l’épanouissement intellectuel, même s’il faut passer par le corps, les sens et le mouvement, alors que la finalité de Steiner est l’équilibre du cœur, de la tête et du corps.

Cette finalité plus scolaire et la discrétion au quotidien de la dimension spirituelle de la pédagogie Montessori en font probablement une pédagogie plus acceptable pour notre époque. Les parents savent que l’enfant sera intellectuellement développé alors que Steiner n’accorde pas plus d’importance à l’intellect qu’à l’artistique et à l’artisanal. De plus, l’arrière-plan ésotérique chez Steiner rend les écoles soupçonnables d’être des sectes, ce qui peut évidemment faire peur.

Pour continuer votre lecture