Le couple : thérapie Mézières de l’âme

Connaissez-vous la méthode Mézières ? Françoise Mézières est une kinésithérapeute qui a révolutionné la kinésithérapie dans les années 1970. Elle a porté un regard global sur le corps et a pensé en termes de chaînes musculaires plutôt que de muscles isolés. Elle a su voir dans le corps des réactions musculaires en chaîne, justement.

Publié le 21 février 2017


La méthode qui traque les tensions

Ainsi, elle a remarqué qu’étirer isolément un muscle tendu revient la plupart quasiment dans tous les cas en raccourcir un autre. Par exemple, comme votre dos vous semble tendu, vous l’étirez en vous pendant en avant, mais ne remarquez pas que, ce faisant, vous raccourcissez les muscles des jambes. Résultat : si votre dos est étiré, la chaîne postérieure est globalement restée aussi tendue, puisque vous n’avez fait que déplacer momentanément la tension. Dès que votre étirement sera fini, la tension viendra se reloger dans le dos. Dit autrement, vos muscles ont compensé en changeant la tension de place.

Le génie de Françoise Mézières a été de repérer ce mécanisme et d’y avoir trouvé une parade : mettre le corps dans une position telle que le corps ne peut plus compenser.

Ce qui demande des efforts de la part du patient et du thérapeute. Alors, la tension est mise au jour et à nu. Vous pouvez alors l’affronter. Mais c’est dur, éprouvant, décourageant parfois, car le corps résiste à ce changement, les muscles ne veulent pas céder et il faut de la volonté pour tenir. Mais si on va au bout de la lutte, les résultats sont profonds et durables — avec quelques piqûres de rappel nécessaires parfois.

Couple, blessures et irritations

Le couple agit de la même manière sur nos esprits. Il vient titiller des tensions qu’on ne peut plus retenir. Avez-vous remarqué à quel point des petits comportements qu’on tolère facilement chez des amis deviennent insupportables chez son partenaire ? Étrange paradoxe, car on pourrait espérer que l’amour nous fasse facilement passer outre ces comportements. Et pourtant non. On pourra arguer que le degré d’engagement n’est pas le même, avec un ami et avec un partenaire amoureux. Avec un ami, on se dit rarement, avec dépit : « Sérieusement, c’est ça ma vie ? » On arguera aussi qu’on passe souvent moins de temps avec nos amis et que donc leurs comportements sont moins irritants, car moins fréquents en fait.

Mais il y a, je crois, une raison plus profonde à nos irritations dans le couple : c’est que l’amour est un thérapeute. Et un thérapeute méziériste ! Car il n’est pas parti pour guérir vos tensions internes et blessures passées comme par magie, sans que vous n’ayez rien à faire. Il va au contraire les mettre au jour et à nu. Jusque là vous arriviez à détourner le regard d’elles, à faire comme si elles n’existaient pas, à compenser. Vous ne vous y attaquiez que mollement. Le couple rend avec le temps ces compensations de plus en plus difficiles. Mais c’est à vous d’affronter vos démons : le couple ne sert qu’à vous mettre dans les dispositions telles qu’il est devient difficile de se mentir à soi-même. Comment s’y prend-il ?

On évoque souvent la période passionnelle des couples qui dure 2 ou 3 ans. Après cette période, ce serait le dur retour à la réalité d’avant la rencontre. C’est faux. C’est pire — et mieux en fait. C’est un dur retour à soi que vous aviez peut-être tenté d’éviter depuis des années, bien avant cette rencontre-là. Alors évidemment, durant ces 2 ou 3 années de passion et d’idéalisation de l’autre, vous avez cru que vos démons avaient disparu tant vous étiez sur un nuage. Et c’est là que l’amour-médecin est taquin, sioux et finaud : c’est pendant cette période que votre esprit, en toute confiance et tout lâcher-prise, va être mis tranquillement, mais sûrement, en position de compensation impossible.

L’idéalisation amoureuse va mettre au jour toutes vos projections, et donc toutes vos compensations passées. On pourrait disserter des heures sur la nature de la projection selon telle ou telle école de pensée et de thérapie. Mais allons à l’essentiel : on ne projette que quelque chose en résonance avec une blessure, un manque, une souffrance. Si l’idéalisation de l’autre nous procure le bonheur et l’illusion de la perfection, c’est bien que nous considérons notre situation, sans l’autre, imparfaite.

Si j’ai peur d’être jugé, mais pas particulièrement d’être abandonné, je remarquerai, le temps de la passion des premiers temps, à quel point mon partenaire est tolérant, puisque c’est ce dont j’ai besoin pour combler ma blessure de jugement. Et je ne serai pas particulièrement sensible au fait qu’il soit très présent, puisque je n’en ai pas spécialement besoin pour me sentir bien. Peut-être une autre personne aurait-elle été sensible à sa présence rassurante, mais pas particulièrement à sa tolérance, en fonction de ses propres blessures. Mêmes personnes, projections différentes.

La période de désidéalisation, et de déception, vous montre clairement ce que vous avez projeté. Votre amoureux‧se n’est pas forcément moins tolérant‧e maintenant, mais la passion vous avez fait croire qu’il en était l’incarnation — ce qui n’arrive pas à ce degré d’intensité avec l’amitié. Sans la passion amoureuse, vous n’auriez pas attendu de cet‧te inconnu‧e, qui n’avez rien demandé, qu’il soit un modèle de tolérance !

Une voie exigeante

Aurez-vous donc le courage d’affronter le sentiment d’abandon que vous ressentez lorsque votre amoureux-se est en retard ? Aurez-vous la force d’abandonner ce perfectionnisme qui vous épuise et que votre partenaire a su abandonner depuis longtemps, ce qui a le don de vous irriter au plus haut point : comment peut-il se permettre d’un ménage correct à 98 % quand vous ne vous savez pas vous en satisfaire ? Vous souhaitez qu’il soit plus stable financièrement ? Mais d’où vous vient cette peur de manquer lorsque lui a en lui, enracinée, une confiance dans la vie qui vous désarçonne ?

Allez-vous affronter votre démon ou quitter votre partenaire ? Quittez-le et cette blessure se manifestera dans votre prochain couple, à l’identique ou sous une autre forme. Fuyez si vous ne vous sentez pas le courage d’affronter. On peut refuser de grandir dans et par son couple, freiner le processus. Mais c’est risquer de voir les mêmes problèmes se répéter inlassablement. Soyez simplement conscient que le prochain combat ne sera pas moins désagréable. Il vous incombe d’affronter vos blessures.

Donc, si cous avez cru que le couple était là pour vous conforter dans ce que vous croyiez être, vous avez fait une erreur : le couple vous invite à plonger au plus profond de vous, dans ces parties que vous refusiez jusque là de regarder. Il vous invite à évoluer, grandir, à quitter une identité pour l’enrichir et la rendre plus subtile, y ajouter de nouvelles nuances — et pas que de gris ! Et cette mue nous paraît insupportable tant elle nous rend vulnérables !

Le couple bouscule parce que cheminer vers soi est fondamentalement inconfortable. Alors, comme dans la méthode Mézière, on résiste, on ne joue pas complètement le jeu, on est tenté d’abandonner, de ne plus fournir les efforts nécessaires. Il n’est pas honteux de ne pas se sentir capable. Mais sachez que la vie a déjà programmé la prochaine séance de kiné de l’âme pour vous en la personne de votre prochain partenaire ! Vous restez célibataire et heureux-se de l’être ? La projection se fera sur d’autres personnes.

Choisir de cheminer vers sa liberté

J’ignore si aucune rencontre n’arrive par hasard, mais les phénomènes de projection au cœur de la passion amoureuse font qu’il est possible de donner du sens à nos rencontres. J’ignore si chaque personne est dans notre vie au bon moment, mais il est possible de faire en sorte que chaque personne ait à nous apporter quelque chose d’infiniment juste pour soi : le miroir de nos blessures.

Ce miroir est l’instrument principal de la conquête de votre liberté tout au long de ce cheminement. De quoi faudrait-il se libérer ? De devoir subir son passé. La promesse est de se libérer progressivement de nos dépendances qui se manifestent tout au long de nos vies : dépendance au sentiment d’être sans cesse rassuré, dépendance affective, dépendance à la passion amoureuse planante, dépendance au besoin de confirmer sa propre valeur par le regard de l’autre… Le couple œuvre à votre libération.

Cultiver l’amour au sein du couple avant qu’il ne devienne de l’indifférence ou de la haine oblige à regarder au fond de soi, à réfléchir à ces parts enfouies qu’il serait plus confortable, à court terme, de laisser dans l’ombre. Passerez-vous à côté de cette possibilité de vous résoudre vos conflits intérieurs et de faire la paix avec vous-même ? Ferez-vous face ?

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